[...] Une exposition emprunte de fantaisie, de légèreté et de couleurs. Une sorte de retour aux sources, non pas de la culture LGBTQIA+, mais de la culture gay avec son lot de paillettes, de plumes, de costumes et d'exubérance. C'est à Jordan Roger (barré) que j'ai confié cette mission tant son travail relève de l'histoire de l'art baroque.

Baroque en effet, que ce soit dans ses vidéos, dans ses objets, dans ses œuvres graphiques, les mouvements sont exagérés, le décor est omniprésent, les compositions sont surchargées, les effets sont dramatiques, les couleurs chaudes, les lignes de force en diagonale. Le baroque est un mouvement dont la communauté gay s'est emparée avec emphase et délectation. À l'heure où cette communauté a tendance à faire la chasse aux folles pour un fallacieux besoin de retour à la virilité, Jordan Roger (barré) les magnifie et les étudie aussi.

Il revisite les clichés queer, homosexuels, camp, les retourne dans de joyeuses installations où le travestissement est au cœur de son travail. Il s'interroge, par exemple, sur les représentations follophobes dans les dessins animés où les aliens et les monstres se travelotent. Il convient de se méfier de l'alien, car sa fourberie l'invite à masquer son identité : l'alien incarne l'étranger.

Chez Jordan Roger (barré), le travestissement et le kitsch, qui caractérisent la follophilie gay, lui permettent de manière autobiographique de profaner tantôt le patriarcat (Papa voulait que je sois bricoleur, un atelier et ses outils entièrement recouverts de paillettes et de plumes), tantôt la communauté dont il est issu et qui l'a rejeté, les Témoins de Jéhovah : l'artiste a subtilisé la robe de mariée de sa mère et se photographie devant la salle du Royaume, posant à la manière d'une princesse. Troublant portrait. On dirait que tout y est faux, la robe de conte de fée trop petite pour ce fort gaillard, la triste architecture pavillonnaire de la congrégation religieuse, le bouquet de fleurs – forcément – en plastique, jusqu'aux larmes au bord des yeux dont on doute de la sincérité.

Le registre autobiographique est également présent dans la série des Thank U God, où l'artiste rend hommage à John Giorno avec une interprétation de ses poèmes graphiques, mantras envoyés comme des coups de poing. Si Jordan Roger (barré) y remercie Dieu d'avoir créé la PMA, l'avortement, les partouzes et les prides, il le remercie aussi de pardonner les personnes qui l'ont traité de « tapette » au collège, mais seulement si elles se repentent, sinon qu'il les brûlent toutes ! Le minimalisme de Giorno est troublé par des images – là encore – baroques, empruntées à l'histoire de l'art religieux, non sans humour et une certaine part de gaminerie, voire de vengeance.

En blasphémant avec un humour corrosif et tout un attirail de dévirilisation, le monstre Jordan sort ainsi de sa chrysalide en se débarrassant de sa mue paternelle Roger et inverse la fameuse formule de Giorno « Il faut brûler pour briller », car c'est sûr, Jordan veut briller en enfer !"

- Eric Foucault






Jordan Roger (barré) est un jeune artiste provenant des beaux-arts de Bourges. Il vit actuellement à Paris.